Cy commence le premier livre de Quinte Curse Ruffe. Et premierement comment es histoires de Alexandre peut apparoir que les Rommains croissent par vertu et diligence et declinent par vicieuse lascheté. Et illec se preuve que Alexandre a esté et conquist tout Orient.
Regardant les discors et infelicitez des seigneuries et royaulmes et voulant monstrer que en leurs maleuretez a tort se escusent les roys sur faulte de bon peuple, le peuple sur faulte de bons roys et tous deux sur la voulenté de Dieu, je treuve que la divine providence pourvoyt tousjours et assortit tous roys de telz peuples et telz peuples de telz roys et que fortune n’y fait rien. Car en regardant les croyssances et les cheutes des choses publicques et principaulx royaulmes ou empires qui ont esté depuis Nynus, roy des Assyriens, jusques a maintenant, il est tout notoire que en tous temps et en tous lieux ou les regnans ont esté bons, vaillans et vertueux, illec l’estat de leurs seigneuries a esté ample et florissant ou du moins en transquillité et union. Au contraire, la ou les regnans ont forvoyé de leur vertu l’estat de leurs seigneuries en trouble, en division et decheance, tellement que assez est notoire tel estre l’estat des roys quelle est la desserte ou merite des subjectz et tel estat des royaulmes queles les meurs et affections des y regnans. A tort doncques murmurent les ungs sur les autres, les regnans sur la faulte des bons subjectz, lesquelz ilz sont telz quelz chascun les veult avoir, les subgetz sur faulte des bons roys, lesquelz Dieu leur donne ou permet ou pour guerdon de merites ou pour don de grace ou pour verge de punicion.
De chascun d’eulx on pourroit amener tant de exemples que leurs noms a paine pourroient en ce livre, mais je me suis arresté en une vraye hystoire de Alexandre, auquel tout seul peut apparoir que ainsi comme les augmentacions et croissances des royaulmes se acquierent par vertu de diligence, tollerance de labeur et abstinence de delices, ainsi par leurs contraires viennent a leur detriment et a leur declin. Et combien que je pensasse avoir Alexandre pour appuy et matiere de mon
emprinse, toutevoyes l’obscure diligence de ceulx qui depuis nagueres ont composées ses histoires et le fol jugement de ceulx qui indiscretement adjoustent foy aux vaines escriptures ou icelle refusent aux auctentiques mirent ma pleume en plus grant perplexité. Car comme les ungs d’iceulx ayent escriptes tellement les hystoires qu’il n’y a gueres a dire d’icelles aux fables de
Lancelot, d’
Ogier et de
Rainoart, et les autres nous dient importunement que Alexandre ne fut onques engendré du chevalier avant nommé
1, ou il m’est besoing de prouver que Alexandre a esté et qu’il conquist tout Orient ou tout mon labeur seroit en vain. Mais que Alexandre a esté et conquist la pluspart de tout Orient, je le preuve par saincte escripture en deux manieres. La premiere parce que icelle saincte escripture dit qu’il devoit estre et la conquester. La seconde parce que elle nous tesmoigne qu’il a esté et la conquist. Premierement qu’il devoit estre se preuve par
Daniel le prophete au .viii. chapitre, auquel il dit comme tesmoigne
Josephus que
Daniel le prophete estant en
Suse principale cité de toute
Perse, il partit hors de la cité avec ses compaignons et luy estant es champs la terre commença a crousler soubdainement et ses compaignons fuyrent en divers lieux, il cheut troublé sur ses mains la face contre terre
2. Illec l’atoucha ung qu’il ne nomme point en luy commandant qu’il se levast affin qu’il veist ce qu’estoit a advenir a ses citoyens aprés plusieurs generacions. Lors il dist avoir veu une longue vision de prophecie qu’il racompte. En conclusion il dit que Dieu luy donna l’entendement de celle prophecie, denotant que aprés certain nombre de roys qui regnerent encores en
Mede et en
Perse succederoit ung qui passeroit ses ancestres en gloire et en richesses et que lors ung roy de
Grece passeroit en
Asye qui assauldroit et vaincroit en bataille ce roy, si emporteroit toute la gloire et honneur de son royaulme, mais que ce roy victorieux fineroit en brief et sans nulz
hoirs, par quoy le royaulme seroit
esquarté et
departy entre les siens, si regneroient plusieurs annees, et finablement que d’iceulx devoit naistre ung roy qui mouveroit guerre contre sa gent et qui osteroit les loix, qui desroberoit le temple de
Jherusalem et deffenderoit celebrer les sacrifices par l’espace de trois ans, vueillant signifier par le premier roy Alexandre le grant et par le derrenier
Anthioque qui fut surnommé
Epyphanes. Toutes lesquelles choses advindrent par iceulx ainsi qu’elles furent prophetisees et tout ainsi que Daniel prophetisa moult devant que Alexandre devoit estre et conquester tout Orient. Ainsi le premier livre des
Machabees tesmoigne qu’il a esté et l’a conquis. Pareillement monseigneur saint
Augustin au .XVIII. livre de la Cité de Dieu vers le commencement du .XLII. chapitre
3,
Josephus au .XII. des
Antiquités,
Eusebe Des temps
4 et
Orose in Ormesta mundi
5, lesquelz n’apreuvent pas seulement que Alexandre ait esté mais avec ce ilz racomptent ses faitz
suivans totallement
Quinte Curse et
Justin et non point autres. Ausquelz ditz des acteurs fault croire comment que ce soit quant on ne croyroit aux Gregoys ne aux Latins tres grans acteurs qui escrivirent ses gestes. Doncques ainsi avons prouvé que Alexandre fut et conquist la pluspart de tout Orient, reste commencer ladicte histoire. Si commencerons en brief les commencemens du royaulme de
Macedoine, la genealogie, la vie et les meurs de Alexandre le grant.
Le pays de Macedoine par avant fut nommé Amathie du nom du roy Amathion qui donna le premier renom de vertu a ses nacions. Mais ainsi que les croissances d’icelles furent petites ainsi les limitez du royaulme trop estroitz. La region fut nommee Boece et le peuple Pelagien. En la marche de Paconye qui presentement est porcion de Macedoine regna jadis Thelogone, pere de Esteroppe, ung des plus nobles qui furent au siege de Troye. En ce temps Corane, moinsné filz de Herculés, fut admonnesté par responce des dieux de querir royaulme en Macedoine et fut annoncé qu’il trouveroit terre et royaulme en ces marches quant les chevres seroient sa seule guide. Lors il vint en Amathie avec grant multitude de Gregoys et, ainsi que une fois faisoit grant bruyne et qu’il avoit cheminé tout le jour sur le vespre, deschargé a ung grant oraige de pluye et de gresil. Si apperceurent ung grant tropeau de chevres fuyans de la pluye vers la ville et lors, suyvans icelles chevres, ilz prindrent la cité de Edesse ains que les habitans les eussent apperceuz. Après ce par traict de temps cestuy Corane debouta du pays de Macedoine tous les autres roys et y regna tout seul en lieu d’iceulx. Et cestuy cy fut le premier du lignaige Herculés qui regna en Macedoine. Aprés lequel succeda Predicque son filz qui monstra a ses hoirs les lieux ou ilz devoient mectre les os de tous leurs successeurs, disant que le royaulme demourroit en celle famille tandis que les relicques de ses successeurs seroient mises en ce lieu. A cestuy Predicque succeda Argeus, qui moderement administra le royaulme en grant amour de ses subgetz. Aprés lequel regna Philippe son filz qui trespassa en jeunesse. Si succeda son filz Europus, qui fut porté au berceau a la bataille ou il desconfist les Ylliriens et ceulx de Trace. Auquel succeda Aminités, roy de grant nom tant par sa propre vertu comme par celle de Alexandre. Aprés lequel trespassa sans hoir de son corps, dont le royaulme fut devolu a Minités, filz de Menelaus, son frere, qui fut instruit de toutes vertus appertenant a grant maistre. Icelluy Aminités eut plusieurs enfans qui tous furent empoisonnez de leur propre mere, excepté Philippe le maisné qui fut donné aux Ylliriens en hostaige et aprés aux Thebains ou il demoura trois ans en hostaige en la maison de Epanimonde, tres vaillant capitaine et philosophe. Cestuy Philippe engendra Alexandre dont parlera ceste histoyre. Ainsi doncques Alexandre fut extraict du lignaige Herculés de par son pere Philippe, roy de Macedoine, et de par sa mere Olimpe il fut extraict du lignaige Cacus, descendant par Archillés Pirrus jusques a Neopholomé, roy de Epire, pere de Olimpe.
Le roy
Philippe en sa jeunesse se fist
consacrer en l’isle de
Samocrate avec
Olimpie sa femme, laquelle il ayma jeune pucelle
7. Et aprés le trespas de ses parens la print en mariage par le consentement de son frere, le roy
Arribe. Icelle estant espousee, la nuyt precedant qu’elle fut en la compaignie de son mary, il luy sembla en songeant que le tonnoirre fust cheu en son ventre et que ung grant feu si aluma, duquel partoient flambes
esparses en plusieurs lieux.
Philippe aussi longtemps aprés les nopces songea qu’il
seelloit le ventre de sa femme d’ung grant
seel auquel estoit l’ymaige d’ung grant lyon, par lequel songe, comme plusieurs eussent exposé a
Philippe qu’il se donnast garde de sa femme,
Aristandre, le devin, affermoit qu’elle avoit charge d’enfant, car on ne seelle point les choses vuydes, et qu’elle se delivreroit d’ung enfant plain de couraige et ayant nature de lyon. Devant ce on avoit veu ung dragon couché emprés Olimpe qui lors dormoit, laquelle chose refroida tres fort l’amour de
Philippe envers elle, tellement que souventes fois a evité sa compaignie doubtant aucunes poisons ou ars magicques ou ayant paour par devocion que aucun dieu n’eust compaignie avec sa femme. Aprés ces choses veues envoya
Cheron Megapolitan ou temple de
Delphos pour sçavoir que ce feroit
8, le quel raporta telle response des devins qu’il estoit besoing de sacrifier au dieu
Amon et l’appaiser par ses prieres, et que le roy
Philippe perdroit l’ung des yeulx pource qu’il avoit regardé par la fente d’un
huys sa femme couchant avec icelluy dieu
Amon9.
Ces choses dit
Plutarcus en la Vie de Alexandre
10, mais
Cratostenés, le grant historien, dit que
Olimpie revela seulement a Alexandre les secretz de sa geniture quant il alla en son armee en luy commandant qu’il print le couraige de son progeniteur. Autres dient qu’elle a evité de ce faire et, quant on luy raportoit que son filz se disoit filz de
Jupiter, qu’elle disoit : « Ne cessera jamais Alexandre de me faire ennemie de
Juno la deesse ? »
Aulus Gelius au quart livre
11 dit que le pareil cas advint a la mere de
Scipion l’Affrican, car
Gayus Oppius et
Julius Hyginius et autres qui mirent par escript la vie et les gestes d’icelluy
Affrican dient que, en absence de
Publius Scipion son pere, on a veu au lict de sa mere, qui estoit tenue pour
brehaigne, une grant couleuvre couchant prés d’elle en son lict. Le raporta
Scipion aux devins, lesquelz, aprés qu’il eut sacrifié, respondirent qu’il auroit encores des enfans ; ne passa guere aprés que la couleuvre fut veue en son lict et que la dame ne conceupt et apparceut signes et sentement de sa portee. Aprés ce aux .IX. moys se delivra de
Publius Scipion l’Affrican, qui vaincquit
Hanibal et les Carthaginoys au temps de sa seconde guerre punicque. Mais comme dit
Plutercus autres dient touchant la vision de ce dragon que en la province de
Trace les femmes faisoient les anciens sacrifices de
Orphee et
Bachus, si nourrissoient serpens de notable grandeur et les faisoient si privees qu’ilz s’entortilloient entour leurs bras et montoient sur leurs testes affin de faire paour aux hommes d’approcher icelles femmes pource que en ces sacrifices leur convenoit abstenir de leur compagnie
12. Or dit on que
Olimpie estoit de telle religion et que par ainsi pourroit estre veu en son lict ce dragon.
Justin dit que
Olimpie enchargeant d’Alexandre luy sembla en songeant l’avoir conceu d’ung serpent de merveilleuse grandeur. Et dit celluy
Justin que a la verité elle apporta en son ventre plus que chose mortelle, dont aprés elle se est vantee l’avoir conceu du dieu
Jupiter Amon. Ce que
Vincent l’hystorial a escript de la conception d’Alexandre, ce qu’il racompte de
Neptanebus qu’il dit estre pere d’icelluy est expressement contre la Saincte Escripture, qui au premier livre des Macabees appelle icelluy Alexandre filz de
Philippe, roy de
Macedoine 13. Pareillement ce que icelluy
Vincent dit de plusieurs enchantemens d’
ymages de cire noyez en ung bassin, on ne le trouve point en hystoire autenticque. Vray est que une hystoire dont
Vincent hystorial allegue en tous les faiz d’Alexandre racompte ses choses, laquelle hystoire a extrait les faiz d’Alexandre vint a mes mains en la destruction de
Dynant 14 et l’ay veue tout du long, si ne l’ay voulu en riens ensuivir car elle n’a quelque auctorité en stille ne en sentence, ains discorde de tous bons acteurs non seullement en ce que dit est mais en tout l’ordre de l’hystoire.
Alexandre fut né prés du troiziesme jour d’aoust. Au mesme jour de sa naissance ardit le temple de
Dyane en
Epheze, qui pour lors estoit l’ung des sept edifices de tout le monde
15. Tous les magiciens et prestres de
Epheze disoient ce feu signifier grans dommages et ploroient crians que en ce jour naissoit grant persecution pour
Asye, avecques ce que en ce jour vrayes pierres descendans des nues ferirent le pays de Orient comme gresil. En ce mesmes temps le roy Philippe print la cité de
Potidee 16. Nouvelles vindrent que
Parmenon, son connestable, rua jus les
Illiriens en grant bataille. Autres nouvelles vindrent que son cheval avoit vaincu le cours et gaigné le pris au mont
Olimpe 17. Le tiers message rapporta que Alexandre estoit né. Philippe estant moult joyeux de ses nouvelles, encores le resjouyrent plus les devins, affermans que son enfant seroit invincible pource que il estoit né en troys victoires. Oultre plus, pource que ce jour mesmes deux aigles se tindrent sur le comble de son palais dés le matin jusques au vespre, ilz disoient signifier a l’enfant deux empires, c’est assavoir
Asye et
Europe.
Il estoit de moyenne stature mais de forme plus noble et auguste que de mortel homme, de hault col,
lé yeulx rians,
lé joues cleres et rougissans gracieusement et d’autres façons de corps non pas
sans majesté de figure. Car, comme dit
Plutarcus, ainsi le tesmoignent ses
ymages que fist
Lisippus, le plus grant
entailleur dont est memoire. Alexandre voulut oncques que autre que icelluy
Lisippus feist son ymage. D’icelle prindrent patron ses amys et aprés ses successeurs. Il avoit le col ung peu encliné a la main
senestre, les yeulx un pou moistes, ce que ce merveilleux ouvrier
contrefist diligentement.
Appelle 18, le plus grant paintre qui onc fut renommé par tous les grans acteurs du temps passé, comme
Johannes ou
Rogier en notre temps, pourtraÿt Alexander gardant les figures dessusdictes fors qu’il fist
orb ou par trop
brun combien que les acteurs dient qu’il fut blanc, mais ce fit il pource qu’il figura portant l’
esclitre et gettant fumee, feu et flambe. Tous se accordent qu’il estoit de beau taint et que la blancheur meslee de rougeur illustroit son visaige. Nous lisons es commentaires de
Aristoyenne que sa bouche et ses membres rendoient une odeur tres
souefve 19 tellement que ses robes dedans rendoient et estoient plaines de ung merveilleux sentement dont la cause peult estre fut l’
attrampance du corps fervent, d’une chaleur interine par laquelle il fut fort enclin a boire et a courroux comme il est tout notoire.
Il fut jouvencel tres excellent et furent en luy surhumaine puissance, signes et esperance de valeur, car, luy estant en sa premiere jeunesse, commença a resplendir sa continence. Et pource qu’il fut prompt et adonné a tout faire, si se tenoit il contre les delices continent et immobille et les refrenoit par une merveilleuse attrempance, couvoiteux de honneur grave et magnanime oultre son aage, car il ne affectoit point gloire de toutes choses comme son pere Philippe qui prenoit la force de bien parler des aornemens de rethoricque et qui mettoit en ses monnoyes le nombre des victoires qu’il eut en la course au mont de Olimpe. Mais Alexandre, combien qu’il eust si bon corps a saulter et a courir comme nulz, touteffois il n’en tenoit gueres de compte, ainçois estant interrogué d’ung autre enfant de son aage s’il couroit voulentiers pour le pris au mont d’Olimpe, respondit : « Voulentiers, se je deusse avoir roys courans et contendans avecques moy. » Il aprenoit et recitoit plusieurs vers et chanssons et non seullement tragedies et comedies mais aussi de plusieurs poetes hystoriens. Son deduit estoit de chasser et voler et du jeu de la hache, autre jeu ne vouloit regarder.
Son pere le roy Philippe estant absent, ambassadeurs vindrent de par le roy de Perse, lesquelz Alexandre en son enfance receut tres honnestement et les atrahyt a soy par ses joyeuses devises. Si estoient moult esbahiz qu’il ne leur demandoit point choses basses et enfantives, mais les interroguoit de la longueur de la voye de l’entree de Perse et de la maniere du chemin et leur demandoit quel estoit leur roy contre ses adversaires, or quel il estoit envers les Persans, adés comme estoit grande sa puissance. Desquelles choses les legatz s’esmerveilloient et tenoient moins de compte de la grande gravité du roy Philippe au regard de celle d’Alexandre, son enfant.
Il ne se esjouyssoit ja de gueres quant on rapportoit que son pere avoit prins quelque noble ville et obtenu quelque grande victoire, ains aux enfans de son aage qui estoient avec luy disoit : « O enfans, mon pere obtiendra toutes choses tellement qu’il ne me restera matiere de monstrer avec vous quelque hault fait. » Seulle couvoitise de vertu et de gloire le tenoit, non pas de pecunes ou de delices, et pensoit que tant seroient ses faitz plus petis combien qu’il recepveroit de son pere plus grans richesses, par quoy croissant la seigneurie de son pere, il pensoit que la matiere et ses gestes rappetissoit. Si ne desiroit richesses ne usaige de delices, mais guerres et batailles et principallement ou il peust honneur et gloire acquerre.
On donna la charge de sa conduyte et nourriture a plusieurs gouverneurs comme raison estoit. Sur tous les autres estoit Leonidés, homme de meurs d’excellente rigueur et gravité, du nom de gouverneur, et, pour le parentaige duquel il estoit de par sa mere Olimpe, il se desdaignoit dudit nom de gouverneur et pource qu’il estoit parent a Alexandre on l’appelloit son conduyseur. Aucuns dient que des meurs de cestuy et de l’alure dont il fut entaché dés son enfance ne s’en peut oncques ravoir ne garder et si estoit en aage. Lisimacus eut nom son gouverneur.
Carés et plusieurs grans acteurs tesmoignent que
Philonicque de Thessalle, grant escuyer de
Macedoine, achepta au roy
Philippe pour treize mars de or ung cheval nommé
Bucifal, lequel le roy voulut regarder aux champs
20. Si sembla a chascun fier et
rebours pource que il ne vouloit souffrir que nulz des gens de entour
Philippe montast sur luy. Le roy estoit mal content de ce, si commanda que on se en deffeist et le plus tost que faire on pourroit. Alexandre estant en presence dist : « Mais regardez quel cheval, ilz le perdent parce qu’ilz ne le sçavent ne n’osent chevaucher. »
Philippe le souffrit dire de prime face a son filz , mais Alexandre commença a murmurer et monstrer qu’il estoit mal content de son pere, lequel soubdain luy dist : « Veulx tu reprendre plus saiges et plus puissans que toy ? » Lors dit Alexandre : « Je me faiz fort de le chevaucher mieulx que nulz. » Et le roy respondit : « Si tu ne le chevauches, quelle paine veulx tu porter pour cet orgueil ? » « Par Dieu, dist Alexandre, je le payeray. » Lors tout chascun commença a ryre, et Alexandre comme desplaisant se mist en avant et print le cheval par la resne et le commença a flater et lui froter la teste, et luy pignier les crins de ses mains et doygtz, puis le tourna devers soleil levant, et soubdainement saillit dessus luy sans luy donner coup de verge ne d’esperon, car le cheval laissa a toutes ses manieres, et Alexandre le tournoit et en faisoit tout ce qu’il vouloit ; congnoissant que le cheval ne desiroit que la course, si luy lascha la bride et lui donna des esperons hardiement.
Philippe voyant son filz fut au premier en grant soussy, mais quant Alexandre eut couru, qui estoit
joinct et hardy, de rechief brocha son cheval des esperons et le fist sourdre et lever en l’air les quatre piedz plus de demye brasse de hault. Et les assistens commencerent a crier, mais on dit que le pere commença a plorer de grant joye, et en baissant le chief icelluy baisa le chief du cheval et descendit a terre, et le roy vint baiser son filz et lui dist : « Quiers ung autre royaulme pareil a toy, car ja
Macedoine point ne te suffist. »
Mais comme le roy
Philippe le veit desja d’
engin extimant
21 et
contendant a non estre par force surmonté, et qui neantmoins par raison povoit estre instruyt a la voye de vertu, il se efforçoit de le conduyre plus par persuasions que par constraincte ; si n’avoit gueres de
fiance aux maistres de musicque et des arts liberaulx et pensant qu’il failloit plus grant diligence pour le endoctriner et comme dit
Sophoclés qu’il
22 est le besoing de frain et de gouvernail pour les enfans, il feist venir
Aristote, le plus illustre et le plus saige de tous les philosophes, auquel jadis icelluy
Philippe avoit escript qu’il n’estoit pas tant joyeux d’ung filz qu’il avoit comme il estoit du vivant et temps d’icelluy
Aristote affin qu’il peust estre endoctriné de luy. Et luy constitua beau pris et guerdon pour la dignité de sa doctrine, car il luy fist reediffier la cité de
Aristote,
Stagire, et y remist les bourgois, marchans, manans, habitans et citoyens lors estans
dispers et prisonniers en plusieurs lieux et diverses places. Donc il assigna a Alexandre et a son maistre une escolle ou
nymphee en la ville de
Mese. Donc dit
Plutarcus que jusques a son temps on veoit la maison de
Aristote ediffiee de marbre, les umbraiges et les belles galleries.
Si est tout notoire que Alexandre non seulement apprint de icelluy
Aristote les livres des bonnes meurs et bons gouvernemens des choses publicques, mais oultre ce il acquist les admonnestemens et enseignemens de plus secrete et haulte doctrine que ilz nomment et appellent entre eulx la science de speculative cognicion, laquelle ilz ne monstroient que a pou de gens
23. Car aprés que Alexandre passa en
Asye, il eut nouvelles que
Aristote avoit mis par escript les livres des sciences dessusdictes. Il luy escrivist unes lettres faisant mencion et touchant franchement la scription desdictes sciences, desquelles lettres il reste encores cest exemple. Alexandre dist a
Aristote : « Tu ne as pas bien fait qui as mys par escript les sciences speculatives, car en quelles
choses serons nous plus excellens des autres si les estudes et excercissemens ou nous sommes sont communes a ung chascun ? Certes je aymeroye mieulx estre excellent par singuliere doctrine que par povoir ou grant estat. Dieu soit avecques toy. »
Aristote rend response et consolacion a ceste couvoytise de gloire, soy excusant avoir escript lesditz livres comme s’il ne les eust point escrips, car il les a faiz si briefz et si obscurs que a paine peut on entendre l’ung sans l’autre.
Aristote aussi a cause de Alexandre print et mist grant paine et estude en l’art de medecine, auquel art Alexandre non seulement estudia diligemment, encores il ayda a ses amys en leurs maladies, et leur a donné instructions d’aucuns remedes et observacions de viandes, ainsi que on peut veoir par ses epistres. Mais Alexandre, couvoiteux de estudier et d’apprendre, apprint par l’exposicion d’Aristote le livre de Omere intitulé Ylias, que Alexandre appelloit le Voyage de la discipline militaire, lequel livre comme dit Onescrite Alexandre tenoit par nuyt dessoubz son chevet avec sa dacgue. Et comme es plus haulx lieux il n’eust point de livres il envoya Arpale affin d’en avoir, lequel lui apporta les livres de Philiste, plusieurs tragedies d’Euripedés, de Sophoclés et de Eschile, ensemble les laiz de Celeste et de Polixene. Mais devant tous autres il tenoit Aristote en plus grant admiracion et reverence, si disoit qu’il ne l’aymoit ja moins que son pere, car par l’ung avoit acquis raison et cause de vivre et par l’aultre de bien vivre. Aucuns mettent avant que aprés son enfance il creut par l’espace de cinq ans soubz Aristote en Athenes.
Aprés ces choses,
Philippe menant guerre contre
Bysance qui depuis fut appellee
Constantinoble, on laissa le gouvernement de
Macedoine et l’administracion de la chancellerie a Alexandre lors estant au .vi. et .x. an de son aage. En ce temps il rua jus en la bataille ceulx de
Magaire qui se tournerent contre luy, si fut leur ville prinse et les habitans expulsez, et y mist plusieurs autres pour y demourer et nomma la cité
Alexandropolis. Pareillement il fut present en la bataille qui fut contre les Gregois en
Cheronne, si fut le premier qui
effondra la sacree compaignie des Thebains
24. Mesmes on monstre aujourd’uy ung vieil chesne qui est auprés la riviere de
Chepheze que on appelle le chesne d’Alexandre pource qu’il y fist son logis et n’est gueres loing du sepulchre des Macedons. Pour toutes lesquelles choses le roy
Philippe l’avoit en grant benivolence comme de raison estoit et encores plus se esjouyssoit que les Macedons appelloient Alexandre leur roy et
Philippe leur empereur.
Aprés ce que le roy Philippe fut amoureux de Cleopatre, il se retrahyt et fist refuz de Olimpye, sa femme, en luy mettant sur suspeccion de adultere, pource que on avoit veu auprés d’elle ung serpent de notable grandeur au temps de la concepcion de Alexandre. Et aprés ce qu’il feist ce refuz et reprouche, il print a femme Cleopatre, jeune pucelle, desquelles amours et nouvelles nopces sourdirent tres grans discors parce que les roynes et les femmes de leurs lignees s’entrehaÿrent grandement. Si coururent dedans la court murmures et langaiges plaines de debatz et dissencions, et furent en grans discords par aspreté de jalousie, et le fier courage de Olimpye se esmouvoit. Mais Attalus esmeut la plus ouverte cause des haynes durant le temps des nopces de Cleopatre, car comme il fut oncle Cleopatre, estant au soupper des nopces chargé de vin, enhortoit les Macedons qu’ilz priassent aux dieux que hoir legitime leur fust procreé de Philippe et de Cleopatre. Lors Alexandre, courroucé de ces motz, dist par courroux : « O traistre, te semble il que je soye ung bastard ? » et en ce disant luy gecta ung gobelet a la teste. Lors le roy se leva et vint contre Alexandre l’espee traicte, mais Fortune favorissant a tous deux, ou par fureur, ou par vin, ne firent nul mal l’ung a l’autre, mais Alexandre commença a tencer son pere en disant : « Mes seigneurs, voicy celluy qui en preparant son passaige de Europe en Asye est tombé d’ung lict en ung autre plus aspre. » Aprés ceste vineuse discencion, Alexandre emmena sa mere Olimpie avecques luy et la laissa en Epire, soy tenant le plus souvent avecques les Ylliriens.
Valere racompte que une dame condamnee d’icelluy
Philippe, lors qu’il estoit ayré, luy dist : « Je appelleroye de Philippe mais luy estant
sobre. » Icelluy
Valere regarda
Philippe diligemment et
prononça25 la cause en plus juste sentence. Ainsi, la dame arracha de luy la justice et equité que impetrer ne povoit, empruntant plus grant ayde de liberté que d’innocence. Et nonobstant que la pluspart des acteurs s’acordent qu’il fut entaiché de trop boire, toutesvoyes
Aulus Gelius au .X. livre dit que le roy
Philippe fut en tous temps diligent et soingneux es affaires de guerre, de batailles et de victoyres, neantmoins oncques ne se absenta des ars liberaulx et estudes de humanité, mais tousjours disoit et faisoit gracieusement plusieurs choses. On treuve livres de ses epistres plains de sa necteté, gracieuseté et de grant prudence.
Aprés le departement d’Alexandre,
Demarathus de Corinthe, tres famillier au roy
Philippe, vint devers lui apportant une hardiesse de bien parler, auquel aprés plusieurs langaiges
Philippe demanda a icelluy en quelle maniere les Gregoys feroient paix et concorde avecques luy. Sur quoy il respondit : « Il t’en doit beaucoup
chaloir de prendre cure de l’union de toute Grece, qui par les discors et maulx de toute Grece as receu ton royaulme. » Par quoy
Philippe retournant a soy envoya icelluy
Demaratus qu’il revocast Alexandre par prieres. Durant lequel temps
Pexodore, gouverneur de
Cacarie de par les Persans, envoya en
Macedoine Aristoceite affin de faire amitié et aliances a
Aridee, son filz bastard, par laquelle chose la mere et amys d’Alexandre se esmeurent a plusieurs rappors et sedicions disans que
Philippe confermoit icelluy
Aridee par la noblesse de ses nopces a occupper
le royaume de Macedone. Alexandre troublé de ces choses envoya en
Carie Panthoue, tragedien affin qu’il induisist icelluy
Pexodore a luy donner en mariage sa fille avant que a
Aridee qui estoit bastard, avec ce il estoit fol. Ce plaisoit mieulx a
Pexodore que la premiere aliance. Mais quand Philippe fut adverty de ses besoignes, il print avec luy ung sien amy moult bien familier nommé Philotés, filz de Parmenon, et en entrant au lict d’Alexandre, le tence tres fort et luy dist de grans injures en l’appellant lasche et indigne de biens veu qu’il se vouloit faire gendre d’ung homme de la province de
Carie, serviteur du roy barbarin. Lors escrivit
aux Corinthes qu’ilz luy envoyassent prisonnier icelluy
Panthoue et bany de
Macedoine les autres amys de Alexandre,
Arpalene et
Arcus,
Ptholomee 26, lesquelz Alexandre revocqua aprés et leur fist de grans honneurs.
Ce temps pendant
Pausanies, noble homme de
Macedoine par le conseil de
Cleopatre et d’
Attale, receupt une
injure tres deshonneste. Et voyant qu’il ne povoit avoir vengeance du roy
Philippe, il le tua entre deux
huys 27. Grant suspicion de ceste mort fut rapportee sur
Olimpie parce qu’elle avoit
enhorté icelluy
Pausanies estant furieux et enclin a ce faire ; mesmes aucune infamie de ce toucha Alexandre, pource que aprés l’
injure de
Pausanies il c’estoit plaint a luy. Sur quoy on dit que Alexandre luy respondit ses vers de la tragedie
Medee : « Oste tout le mary, la femme et le beau pere
28. »
Olimpie en absence d’Alexandre tua
Cleopatre cruellement de ses mains, dont Alexandre fut moult dolent. Neantmoins aprés ce Alexandre fist querir tous lé compaignons et complices de la mort de son pere et les fit mourir en grant tourment.
Et puis que racompté avons la geniture, naissance et nourriture d’Alexandre ensemble la mort de son pere, ains que nous racomptons les choses qu’il fist en Grece et en Perse, nous mettrons la comparaison que Justin et autres mettent entre luy et son pere, et dirons en brief ses meurs et sa vie. Aprés la mort du roy Philippe, Alexandre en vices et vertuz plus grant que son pere, succeda au royaulme de Macedoine. Tous deux ont esté batailleurs et couvoiteux de regner mais l’ung ne l’autre ne voulurent regner avec leurs amis ; le pere vouloit estre aymé et le filz fort craint, nulle maniere de victoire n’estoit laide envers le pere, devers le filz nulle ne sembloit difficille ; le filz clerement traictoit les batailles, le pere occultement et par cautelle ; l’ung estoit joyeux d’avoir deceu ses ennemys, l’autre de les avoir renversez apertement. Le pere estoit en conseil plus prudent, le filz en cueur plus magnificque ; l’ung et l’autre estoient instruytz es sciences mais le filz le fut soubz Aristote; Philippe en loquence, Alexandre en epistres estoit plus excellent ; l’ung estoit debonnaire et l’autre trop double, si promettoit plus qu’il ne donnoit, l’autre estoit plus excellent par espitre que par parolle ; le pere estoit plus subtil en acquest que en garde des richesses, le filz estoit plus curieux en grans despens ; le pere estoit povre entre les rapines de chascun jour, le filz desiroit despens magnificques ; misericorde et cruaulté reperoient egallement en la personne du pere, au filz liberalle clemence de pardon aux vaincuz ; tous deux furent curieux de paremens d’armes et grans mangiers, mais le filz plus ; tous deux legiers a courroux, mais le pere le sçavoit dissimuler et maistriser, tous deux donnez aux delices mais le filz plus, Alexandre eschauffé n’avoit mode de se restraindre en sa vengeance ; tous deux en vin par trop adonnez, mais les ennemis sentoient l’ivresse de Philippe, les amys celoient celle d’Alexandre, Philippe souvent se levoit de table contre ses ennemis, Allexandre contre ses gens.
Plus excellent de tous les roys estoit et a paine peult on trouver son pareil s’il avoit dompté yre et orgueil, maulx non vaincuz et usaige de vin plus amoderé, car il estoit content a entrer en tous perilz, diligent a tous exploitz, feable aux renduz, piteux aux prisonniers, magnificque aux sciens et liberal a tout chascun tellement que plusieurs foys donnoit que on n’oseroit demander a Dieu. Moderé estoit et attrempé es delices permises et visitees, homme de singuliere hardiesse, a qui riens ne sembloit grant ne impossible, mespriseur de tout peril et principallement de multitude de peuple, le premier entrepreneur des choses perilleuses, le premier descendoit a la bataille et illec se combatoit tousjours ou il veoit la plus grant foulle, il vouloit que tous les perilz fussent a luy, non pas aux siens, les proyes donnoit a ses gens. A doubter ne estoit qu’il fust meilleur chevalier ou cappitaine. En somme, ne fortune ne couvoitise de gloire ne peurent oncques trouver fin en luy, car prosperité perpetuelle ne faillit oncques en ses choses adverses, ne fortune oncques a l’espargner ne fut lassee, eureux sur tous les roys s’il eust perseveré jusques a l’extreme de sa vie telle comme il avoit commencé.
Mais aprés que il saisit l’empire des Persans, Fortune corrompit sa bonne nature et changea ses bonnes meurs et son courage. Si souilla et ternit tant de cleres et bonnes vertuz par gourmandise de vin. Et comme il fut vainqueur de tous autres vices, souvent fut vaincu par vin et par courroux. Ainsi celluy qui demoura invincible contre les armes de tout Orient enfin fut vaincu par les vices des Persans. Pareillement il devint fier et despit contre les siens, non mye comme roy mais comme droit adversaire, et n’estoit ja plus terrible a la bataille que a la table, car il occist entre le vin et les viandes Clite, homme noble et cler frere de sa nourrisse et conservateur de sa vie, et qui pis vault pource qu’il racomptoit les gestes du roy Philippe et icelles prisoit aux faitz d’Alexandre. Oultre ce il fist tuer Parmenon avecques son filz, homme de royalle dignité sans lesquelz Alexandre ne fist oncques chose notable qu’ilz n’y fussent. Aussi il fist mettre a mort Calistene, son maistre, grant orateur et moult prudent, et plusieurs autres nobles hommes sans ouyr leurs deffences, faisant ce que dit est pource que icelluy Calistene contendoit de le retraire des vices, pompes et excés des Persans. Semblablement il bouta le feu en une noble et royalle cité, chief de tout Orient, a la requeste de une femme commune. Brief il monta en grant orgueil qu’il ne vouloit pas seullement estre tenu filz de Jupiter mais vouloit estre adoré comme ung dieu, car peu luy sembloit de estre le comble de tous les mortelz.
Aussi il se mist ung dyademe en chief que par avant les roys de Macedoine ne portoient point. Et pour suyvre les delices des Persans aussi bien que les habitz, il partissoit les nuytz entre les trouppeaux de filles. Mais affin que les pompes et delices ne semblassent point hayneuses a luy tout seul, il contraingnit ses amys a prendre longues robes de pourpre et de drap d’or et donna congié prendre femmes a ceulx qui prendre vouloient, et affin que luxure ne fust aneantie mais qu’elle fust augmentee, il deffendit les jeusnes et fist ordonner grans prodigalitez de viandes, si ordonna la commune des jeux selon royal magnificence, oubliant que par les vices dessusditz on pert les royaulmes. Ainsi donc fut mis en exil la vertu d’Alexandre par trois degrés de fier orgueil, car en soy desprisant le roy Philippe, il appella Jupiter Amon son pere. Et par desdaing des habis et meurs de Macedoine, il print les instituz et robes des Persans. En desprisant l’abbit de mortel homme, il s’est voulu deiffier, par quoy il fut en hayne des dieux et de ses prouchains, car il n’avoit point honte de soy, mais desprisoit son pere qui avoit esté homme et se disoit filz du dieu Jupiter. Mais de sa nature estoit tout plain de vices, car ainsi comme la chaleur de jeunesse lui avoit amené courroux, violence et autres vices fort semblables, ainsi l’aage les povoit appaisier.
Embrassant en son cueur choses infinies, il avoit conclu aprés qu’il auroit dompté tout Orient de tirer vers Auffricque, et ayant passé les solitudes de la province de Numidie, de rechief son voyage seroit vers l’isle de Calais, car par renommee auprés d’icelle estoient plusieurs villes comme Septe, Gibraltar et Colonnes de Herculés. Aprés de la avoit deliberé transnagier es Espaignes et les subjuguer, passer les Alpes, les vaincre et de la aller en Ytalie, car il estoit courroucé contre les Rommains. Finablement il avoit deliberé de retourner en son pays pource que de Brandis le passaige y est plus brief en Epire, mais de ce on dira en son lieu plus amplement. Ainsi que Alexandre ne descendit oncques en bataille contre nul de ses ennemis qu’il n’ait vaincu, n’assiegea oncques ville que prinse ne fust, n’alla oncques contre gens qu’il ne les ait suppeditez. Enfin il fut vaincu par poison non pas par bataille. Et ce suffise en brief de la naissance et nourriture de Alexandre jusques a ce qu’il parvint au royaulme, et de toute la vie et meurs d’icelluy.
Retournant a l’ordre de l’histoire, aprés la mort du roy Philippe, Alexandre en l’aage de .xx. ans succeda et print possession du royaulme de Macedoine, lequel il trouva plain de haynes et de discors et de grans perilz, car les voisines nacions des Barbarins ne povoient souffrir bonnement la servitude, ains desiroient leurs anciens principaulx seigneurs. Toute Grece estoit en armes parce que Philippe n’avoit point eu temps de l’appaiser, mais estoit trespassé au plus grant trouble et tempeste de guerres. Le perilleux estat de ses besongnes donnoit aux Macedons tres grans craintes, si disoient a Alexandre que force estoit qu’il laissast les choses de Grece et ne fist a nulluy violence, mesmes qu’il devoit par debonnaireté et clemence attraire a soy les Barbarins rebellans contre luy. Alexandre contrariant ceste opinion conclud de garder et de deffendre le royaulme par hardiesse a grant couraige, car il seroit tantost foulé et abatu s’il le laissoit quelque chose de son grant et hault couraige. Premierement donc il celebra les obseques de son pere en grant magnificence et fist tuer sur sa tombe ceulx qui le tuerent avec tous leurs complices et adherens. Pardonna seulement a ung nommé Alexandre, frere de l’ung de ceulx, pource qu’il avoit remys sa mere Olimpie en l’estat de sa premiere dignité dont le roy Phelippe l’avoit delaissee par suspection de adultere. Pareillement il fist tuer Attale et tous les parens de Cleopatre, sa marastre, affin de laisser toutes choses plus seures combien que Philippe les avoit exaulcez en haultes dignitez. Mesmes aux siens ne pardonna point, ains fist tous occire ceulx qui sembloient estre ydoynes a regner affin que cause de sedicion ne matiere quelconque ne demourast en derriere.
Aprés que Alexandre eut donné l’ordre qui luy sembloit expedient es choses dessusdictes, il traversa Grece, mais lors on l’advertit que ceulx de Lacedemon et d’Athenes estoient rebellés encontre lui, mesmes que Demostenés, orateur, estoit acteur de celle rebellion, estant corrompu des Persans par une grant somme d’or. Dont pour obvier a leurs entreprinses Alexandre y envoya son ost et oppressa soubdainement toute Grece, tellement que a paine ne croioyent pas ceulx le veoir ne ne le sentoient venir. Lors ceulx d’Athenes ainsi que premiers tellement furent esbahis et surprins que tous premiers se commencerent a repentir, retournant en admiracion de ce qu’ilz avoient desprisé sa jeunesse par le conseil de leurs anciens capitaines, par quoy ilz envoyerent ambassadeurs par devers luy affin de luy supplier qu’il se voulsist deporter de la guerre. Aprés ce que Alexandre les eut ouys et griefvement reprins, il leur pardonna de bon cueur pource qu’il avoit passé son enfance a leurs estudes. Les Thessalles aussi, qui pas n’avoient oublié les benefices de Philippe, envoyerent gens et vivres a Alexandre, et puis se tyra vers la riviere du Daure et appaisa toutes les mutacions des gens barbarines. Illecques aussi desconfist en bataille Sirine, roy des Triballes.
Aprés Alexandre assiegea la cité de Stargiere dont Aristote estoit natif et, quant les citoyens virent approucher la destruction d’eulx et de leur ville, ilz envoyerent a Aristote qu’il voulsist supplier le roy Alexandre pour eulx, car ilz pensoient que l’indignacion du disciple povoit estre appaisee par la doctrine de son maistre. Mais comme le roy veit Aristote, congnoissant la cause de sa venue, jura qu’il ne feroit rien de ce que prier luy vouloit. Aristote luy dist : « Doncques je te prie et supplie que tu destruises la cité. » Alexandre se soubzrist, soy voyant estre deceu de son maistre, il laissa la cité.
D’illec retourna son ost envers Thebes, pensant user de pareille clemence comme envers Athenes se il y trouvoit pareille repentance. Ceulx de Thebes userent de force d’armes contre luy et non pas de prieres, mais enfin ilz furent vaincus et essayerent les tormens de cruelle captivité. Car comme on deliberoit en conseil de la destruction de leur cité, les Placiens et Fociens, compaignons d’Alexandre et participans de la victoire, se complaingnirent des subversions de leurs villes faictes par les Thebains, de leur rebellion et cruaulté, recordans leurs aliances envers les Persans non seulement presentes, mais passez. Par quoy jadis ilz se firent haÿr de tout chascun, avec les recordans des fables de leurs crismes anciens affin de iceulx faire haÿr tant pour leur presente felonnie comme pour leur infamie moult ancienne.
Lors
Cleadés, l’ung des prisonniers a qui on donna licence de parler, dist : « Alexandre, nous ne fusmes pas rebellans contre le roy
Philippe que on disoit estre mort, mais contre ses
hoirs. Quelque chose qui soit commise contre ta majesté, la
coulpe est de felonnie comme tu vois et non pas de trahison, laquelle felonnie nous achaptons par trop chier tes griefz et tormens. Toute nostre jeunesse est desolee et mise a neant, il nous reste seulement les vieillars et les femmes, qui est ung peuple aussi innocent comme fragille, et mesmes par fortes adulteries et
ribauldises infaictes, infametez et injures si fort travaillez que on ne lui peut demander chose plus amere. Aussi ja ne te supplions pour tous les citoyens, car si pou en est demouré que c’est pitié. Mais pour le
terrouer innocent de nostre pays et pour la cité ou ont esté engendrez tant de nobles hommes, tant de roys et tant de dieux, ayes pitié de la cité qui nourrist
Herculés, duquel ton lignaige est extraict son droit commencement, en icelle passa le roy
Philippe, ton pere, son enfance. Si te supplions que vueilles perdonner* a la cité et que en icelle vueilles espargnier toy et les dieux. » Quant
Cleadés eut finy son parler, yre fut plus grant que devant envers le roy, si commanda que la cité fust rasee de fons en comble et les champs departis entre les vaincqueurs, et les prisonniers vendus en marché publicque
29.
En la destruction de la cité, ceulx de Trace rompirent la maison d’une tres noble dame nommee Thimoclie et pillerent tout le meuble. Aprés que le cappitaine eut violee celle dame par force, il luy demanda diligemment s’elle avoit or ou argent mucé en quelque lieu. La dame luy dist que si avoit et l’envoya en son jardin, illecques luy monstra ung puys ou elle avoit gecté ses plus precieuses richesses quant la cité fut prinse, mais ainsi que le capitaine se enclina sur le bort du puys pour regarder dedans, le dame le saisit par fourc, si le tomba dedans le puys et luy rompit le col. Puis les gens du capitaine prindrent la dame et la menerent en prison devant Alexandre qui, en la regardant marcher et voyant sa contenance qui monstroit signe de grant noblesse car elle venoit asseuree et sans crainte, Alexandre l’interrogua qui elle estoit. La dame respondit qu’elle estoit seur de Theagenés qui avoit esté principal capitaine en la bataille de Cheronne contre le roy Philippe, ton pere, et qui lors fut tué pour la liberté de toute Grece. Alexandre, esmerveillé de sa response et de son beau fait la laissa aller avecques ses enfans sans quelque raison.
La destruction de Thebes sembla a ceulx d’Athenes chose pitoyable, par quoy ilz ouvrirent les portes contre la deffense du roy pour recueillir ceulx qui se rendoient fugitifz, de quoy Alexandre se courrouça tellement que ceulx de Athenes depuis supplierent que on ne leur fist point de guerre. Et le roy respondit que point ne leur accorderoit s’ilz ne luy rendoient tous les cappitaines et orateurs par lesquelz ilz s’estoient rebellez tant de foys, laquelle chose assembla en conseil ceulx d’Athenes. Et premierement on interrogua ceulx d’Athenes, et le premier fut Leschinés, orateur, de ce qu’il luy sembloit. Sur quoy il respondit :
« Seigneurs d’Athenes, il me souvient que Alexandre apprint en nostre cité les ars liberaulx et fut instruyt es sciences par Aristote. Avecques ce il apprint devers nous noz meurs et noz engins. Ensemble on luy laissa icy l’art de regner. Au surplus nous congnoissons la grandeur et constance de son cueur, par quoy il fault appaiser Alexandre, ce me semble, par amour, non pas par aspreté de rudesse, ne par injures et rebellions, mais par doulceur, en nous humiliant, il me semble que legierement se convertira en benivolence de l’indignacion qu’il a armee contre nous s’il nos trouve obeïssans en luy requerant pardon. » Aprés que Helchinés mist fin a son parler, l’on commença a dire a Demadés, l’ung du nombre des orateurs, lequel dist ainsi :
« Je me esmerveille, seigneurs d’Athenes, a quel propos Helchinés nous fait si grant paour et nous admonneste venir en la puissance et reddicion d’ung enfant. Pourquoy nous conseille il abstenir de la guerre ou tousjours nous avons esté excellens, attendu que jadis luy mesmes nous conseilla prendre armee contre les Persans et non sans cause ? O, seigneurs d’Athenes, fors et invincibles, doubterez vous l’advanture de la guerre contre Alexandre encores enfant, qui jadis vaincquistes les Megaroys, qui avez rué jus les Corinthes, surmonté les Lacedemons, qui tant de milliers du roy Xersés renversates en victoire et par vostre vertu les avez deboutez de voz mettes, ausquelz la mer ne suffisoit point a singler leurs navires, ne les ports a descendre, ne les rivieres a boire, ne la terre pour leur marcher, qui les montaignes mettoient a l’uny et en faisoient plaines de valles, qui couvroient la mer de leurs pontz, qui a paines povoient en Grece et a paines recevoient l’arc de leurs darcs et flesches ? C’est une grant mocquerie que nous n’osons obvier a cest enfant soubdain et inconsult, nous qui sommes vaillans, esprouvez par tant de guerres et par tant de victoires. Certes par un conseil subtil soit demandé a noz capitaines et orateurs affin que plus legierement ilz destruysent et degarnissent les gardes de la ville. » L’oppinion de Demadés avoit fort esmeu la jeunesse de Athenes, mais on attendoit le conseil de sire Demostenés, auquel estoient en son cueur les livres des deesses de sapience et de eloquence, ilz avoient esleu pour leur siege. Lors se leva icelluy Demostenés et commanda silence au peuple qui faisoit grant murmure et dist :
« Il me semble que je voy debatre en question devers vous, seigneurs d’
Athenes, si vous devez prendre armes contre Alexandre ou se on doit obeïr a ses condicions et commandemens. Sur quoy l’oppinion de
Eschinés est assez louable, mais pourtant n’est pas a reprouver celle de
Demadés, se besoing en estoit, car puissance ne nous fault point s’il est besoing d’entreprendre guerre. Si n’est pas a despriser la presente paix qui est la fin de la guerre.
Demadés nous conseille prendre armes par exemples des anciennes histoires et victoires que nous avons eues. Mais je vous prie que nous ayons telz cappitaines que nous avions au temps passé. Nous n’avons point icy
Canons qui enrichist nostre cité des despouilles des Persans. Nous ne avons point icy
Miliciadés qui vaincquit
Daire es champs de
Marathon31 et le mist en fuyte avecques six cens mille combatans a cheval. Nous n’avons point
Themistodés qui fist fuyr
Xersés en ung petit batteau, lequel venoit en grant orgueil a tout dix mille combatans qu’il menoit par mer a tout quatre mille et deux cens navires. Presentement est ung autre temps, et pour icelluy temps fault trouver autre conseil. Regardons bien que nous trouvons servitude la ou nous cherchons liberté. Regardons que si ne luy voulons livrer aucuns et, se nous ne luy rendons tous ensemble, il nous menera guerre. Regardez que nous ne perdons tout pour garder une partie. Or celluy qui veult avoir eureuse victoire en bataille, forte luy est necessaire de appareiller la guerre et de entretenir les gens d’armes. Nostre ennemi est ja aux portes avecques son ost, en grant orgueil, non lasche, non paresceux, mais robuste et asseuré, plain de grant hardement. Il nous trouvera a despourveuz et non assez en point, par quoy nous ne le devons point provocquer et revocquer des Persans. Laissons le aller et faisons tant envers luy qu’il soit content de nous affin qu’il ne face son effort contre nous comme il a ja fait contre les Persans. » Quant
Demostenés eut mys fin a son parler, on envoya d’ung commun accord une couronne d’or a Alexandre avecques humbles prieres.
Demostenés eut la commission, mais le roy, adverty de sa venue, considerant son auctorité, luy donna l’honneur qu’il devoit, nonobstant que jadis luy avoit esté suspect. Lequel
Demostenés, ayant salué le roy selon la mode qui au temps estoit, et aprés qu’il eut licence de parler oyant les Macedons commença ainsi :
« Roy Alexandre, ta bonne fortune n’a chose plus grande que tu puisses preserver plusieurs fortunes, ne ta bonne nature n’a riens meilleur fors que tu le vueilles, aussi il n’y a nulle de tes vertus tant grandes qu’elles soyent plus gracieuses que misericorde, ne plus admirable que clemence, ne chose plus preste d’aproucher aux dieux que par apporter le salut aux hommes, mesmes en leur donnant s’il en est besoing, car comme nous sommes des dieux surmontez en tous biens, seule clemence est celle qui nous rend semblable aux dieux. Pourtant, roy, tu te dois conjoyr d’ung bien si excellent naïf en toy et user de ta clemence et bonté par la grace de ta fortune plustost envers ceulx avec lesquelz tu as esté nourry et enseigné et as eu la clarté des sciences dont tu prins la forme et commencement de ta haulteur, car il n’est nul si juste a extimer les choses qu’ilz doivent doubter quelle fust la voulenté des Atheniens a mesprendre envers toy quant ilz receurent les Thebains. Car dés l’heure que nous congneusmes le courroux de ta haulteur, nous nous sommes venus habandonner vers toy a humbles prieres. Or celluy qui se repent du delict sans faulte, il declaire qu’il ayme mieulx non offencer que en aprés soy repentir. Neantmoins, si nous sommes aucunement coulpables, touttefois sommes nous exemps de tout cryme. Nous receusmes en nostre cité les Thebains tant maleureux comme dignes de pitié, non comme tes ennemys mais comme relicques de ta haulte victoire, nous conservans iceulx de Thebes comme yssus d’une nef rompue. Nous ouvrismes les portes a ceulx que tu as vaincus, neantmoins nous ne preismes pas armes contre toy, plus nous jugeras avoir delinqué par humanité que par autre consideracion ennemye, non par haine de toy mais par erreur, ne par malice mais par pitié qui par advanture estoit folle.
D’autre part, aussi considere que ton cueur ne tint oncques compte des choses si petites comme nature a donné pour vivre en ce mortel monde, ne ta vie ne se doit point tenir comme celle qui est contenue du corps et de l’esperit, mais comme divine. Tu as dompté Grece, rompu Lacedemon, Thebes demolye, pour depuis guerroyer les Perses et les Yndiens. Mais toutes ces choses sont de homme, car elles ont nature et condicion de povoir estre achevez, mais vaincre son cueur, maistroier soy mesmes, reprimer le courroux, avoir pitié des vaincus, pardonner aux supplians, quiconques ce fait, il n’est pas a comparoir a tres haulx hommes, mais on le doit jugier semblable aux dieux. Ne croy doncques a yre qui est ennemye de conseil, ne croy pas a la victoire qui est cruelle et orgueilleuse de sa nature, mais vainct toy mesmes qui surmontes les autres en gloire et en vertus. Lequel est roy, celluy qui se dit roy ou celluy qui se monstre par noblesse de meurs en bonté, ou en estude de bonnes meurs, ou en clemence, ou en aucun tiltre de louenge ? Lequel des roys tres illustres se peut comparoir a toy en grandeur de batailles, en nombre de guerres, en varieté de victoires, en diligences de icelles, en amplitude de pensee, en durté contre les rebelles, clemence envers les subjectz, liberalité envers chascun? Certes, ta gloire est desja grande, combien que elle sera encores moult plus : tant que le monde durera, jamais ta memoire ne finera. Il n’y a si grant habondance de engin qui peust je ne dy pas aorner, enseigner et racompter tes faitz, mais racompter tes gestes entierement. Neantmoins, vieillesse consumera et obscurcira tout cecy. On le met en memoire par escript. Et entre tous les gens du monde qui sont ceulx qui plus feablement et veritablement diront et racompteront tes louenges, qui sont ceulx qui plus feablement les divulgueront, admonnesteront et escriront, que les grans orateurs et clercs de Athenes qui est la grant source et fontaine de toute philosophie qui arrouse le monde universel de tous les dons de sapience ? Doncques, roy, on celebrera tes louenges tant par voix comme par epistres joyeuses, doulces et amyables, non seulement en noz lettres, par noz escriptures et langaiges de toutes gens, ne jamais nul aage ne sera teue de ta gloire. Si ne doit point ta vie doubter ne craindre obscurité de oublyance, car la memoire de tous les siecles la nourrira et la eternité la deffendra a tousjours mais. Donc ceulx qui viendront aprés nous se esmerveilleront en lysans tes grans faitz, victoires et triumphes innumerables. Et affin que ces choses soient ainsi, nous te prions, requerons et supplions que tu pardonnes a la cité affin que tu ne estaignes ne obfusques la clarté de tout le monde. Car comme le soleil par la clarté de sa lumiere reluyst et resplendit sur toutes les estoilles, ainsi ceste cité entre les autres de tout le monde est preeminente en eloquence et en prudence, voire en tout le clergie de philosophie, et comme preexcellente envoye les fleuves de toutes sciences es parties de tout le monde universel, par quoy son impunité sera gloire et louenge de ta clemence. Saulve ta grace et ta louenge, roy Alexandre, je te parleray encores plus avant. Nulle de tes louenges ja ne sera plus que celle que tu acquerras aujourduy en faisant ce, humblement te supplions. »
Aprés ce que Demostenés eut mis fin a son parler, grant murmure se esleva dont la voix de chascun si estoit que on devoit pardonner a Athenes et mesmes les amys du roy l’en supplioient. Adonc le roy, par la coustume du lyon, ou ja saoullé de fureur, ou vueillant adjouster a une chose tres cruelle autre plaine de clemence, non seulement pour ce ne se courrouça contre les Atheniens, mais avecques ce leur commanda avoir soing des choses de Grece, et qu’il vouloit qu’ilz fussent princes d’icelle au cas que aucune chose lui advenoit, prononçant de sa bouche qu’il pardonnoit a Athenes par sentence, pourveu touteffois que les acteurs des sedicions seroient condamnez. Adonc Alexandre receut la couronne et renvoya Demostenés, puis aprés s’en retourna. Aprés, la chose fut tellement demenee que on mist en exil ceulx que Alexandre commandoit, lesquelz tantost se allierent au roy Daire, qui ne firent pas pou de aide aux Persans. Touteffois on dit que Alexandre se repentit d’avoir destruit la cité de Thebes, et est notoire a plusieurs que ledit Alexandre departit ausditz Thebains une partie de sa clemence. Et pource que le dieu Bachus estoit de celle cité, il raportoit en l’yre et le courroux d’icelluy la mort de Clite qu’il tua entre le vin et les viandes, pareillement le departement de ses gens d’armes qui l’habandonnoient en Ynde, ainçois qu’il eust parfait son voyage, par quoy il fut tout notoire que aprés ce nul des Thebains ne jetta devant luy ses prieres, et leur souvenoit tousjours de la destruction de Thebes et de la reconciliation de Athenes. Aucuns mettent avant qu’il fut courroucé contre les Rommains, pource que aprés les legacions par iceulx Rommains orgueilleusement despescherent les legatz. Alexandre leur escrivit unes lettres non contenans mot ne substance oultre ses troys motz : « Se je y vois, se je y vois, se je y vois. » Et les Rommains luy rescrivirent : « Se vous y venez, se vous y venez, se vous y venez. » Mais Alexandre delaya son courroux jusques aprés la guerre de Perse.
Aprés ce, Alexandre tira devers Corinthe. A la porte d’icelle, trouva Dyogenés, le philosophe qui n’avoit autre maison que ung tonneau deffoncé par ung bout, lequel il tournoit comme le soleil tournoit. Alexandre s’approucha du touneau, si trouva Dyogenés qui se chauffoit au solleil et le salua moult familierement en luy demandant s’il vouloit quelque chose de luy. Dyogenés respondit ouy. Alexandre luy dist : « Demande ce que tu vouldras. » Dyogenés respondit : « Que tu te vueilles oster ung pou de devant le soleil. » Alexandre luy dist : « Je le vueil, mais je vouldroye que tu me demandasses quelque don. » Dyogenés luy dist : « Et quelle chose puis je demander au serf de mon serf ? » « Comment, dist Alexandre, suis je serf de ton serf ? » A quoy Dyogenés respondit : « Tu es serviteur a couvoitise de laquelle je suys maistre. » Alexandre se delecta en ce que il veoit qu’il ne tenoit compte de sa royalle resplendeur et se en alla. Les assistens commencerent a demander a Alexandre, par jeu, qui estoit icelluy. Alexandre leur respondit : « Si je ne estoit Alexandre, je vouldroye estre Dyogenés. » De ce sourdit ce commun proverbe. Alexandre tempta Dyogenés a le getter hors de son estat par richesses et couvoitises, mais il eut plus tost getté hors de son royaulme le roy Daire par armes. De cestuy Dyogenés racompte Tules au premier livre des Questions Tusculaines. En estant interrogué de ses amys a l’heure de sa mort en quel lieu luy plaisoit que on le mist en terre : « Il ne m’en chault ou, gettez moy aux champs sans sepulture. » Ses amys replicquerent : « Quoy ? aux oyseaux et bestes saulvaiges. » « Nenny dea, dist Dyogenés, mais mettez ung baston de costé moy pour les chasser. » Ses amis luy dirent : « Comment pourras tu ce faire quant riens n’en sentiras ? » « Et quel dommaige me peut porter leur morsure quant je n’en sentiray riens et je seray mort ? »
Aprés que Alexandre entra dedans Corinthe, il assembla le conseil de toute Grece. Et quant il fut assemblé, il parla publicquement en l’assemblee, disant que le temps estoit venu de prendre vengeance des Persans qui tant de maulx et de guerres avoient inferé aux Gregoys, par quoy tellement print les cueurs et faveur de tout le peuple que on luy accorda le voyage de Perse. Et par commun accord fut appellé empereur de toute Grece, disans qu’ilz avoient changié le corps de l’homme, non pas la vertu de leur roy. Si se escrierent tous qu’il les menast ou bon luy sembleroit. Alexandre, pensant de soy en servir tandis que ilz estoient emflambez en leurs couraiges, ordonna son ost, elisant chevaliers non seullement de la premiere aage, non pas jeunes, robustes mais usaigez de la guerre, plusieurs vieulx routiers qui avoient servi a la guerre avecques son pere, tellement que on ne disoit point d’iceulx tant estre chevaliers mais maistres de chevalerie. Nul ne fut cappitaine des esles de son ost fors que il eust soixante ans, tellement que se on eust regardé les commencemens de leurs ordonnances, on les eust estimés senatz, non pas cappitaines de gens d’armes. Au surplus ilz estoient si honnorables et telle presence, grandeur de corps, de force et de sapience avoit en eulx que qui ne les eust congneu il les eust jugés esleuz non pas de une seulle ville, mais du monde universel. Par quoy nul d’iceulx ne mist son esperance es piedz pour fuyr en la bataille, mais es bras pour la victoire, ne jamais ne eussent trouvé leurs semblables se ilz ne eussent couru contre eulx mesmes. Et certes, Macedoine eust envoyé plusieurs Alexandres en Perse, se par envie de leurs vertuz Fortune ne les eust armez les ungs contre les autres pour le mal de tous ensemble. Ceulx qui mettent le plus petit nombre de son ost afferment que il ne avoit que cinq mille hommes a cheval et trente mille a pié. Ceulx qui mettent le plus grant nombre afferment qu’il y eut .xliii. mille a pié et quattre mille a cheval. En verité c’est chose incertaine et plus admirable que il vaincquit tout le monde a si petit nombre de gens qu’il avoit ou qu’il fust de si hault couraige qu’il osast oncques de soy entreprendre.
Aristobolus dit que Alexandre n’avoit lors pour son voyage que soixante grans marcs d’or, a paine payement de trente jours pour ses gens d’armes. Selon que dit
Priscien au livre des Poix et des mesures, ung grant marc d’or d’
Athenes estoit poix de six mille
dragmes. Et mesmes ce prouve par
Marcus Varro au livre de la Naissance de la langue latine, aussi par
Titulnie32 en plusieurs lieux. Ce seroit de la monnoye de maintenant six mille vieulx escuz de
France ou six mille
rides du duc Philippe le Grant, dont celle somme de soixante mille marcs que Alexandre portoit pour sa guerre soubtenir
monteroit a la somme
de troys cens soixante mille rides des monnoyes dessudictes. Est a noter que ou ce livre de la Naissance de la langue latine parle de ung marc d’or, il veult entendre ses grans marcs de six mille rides vallant, et ou il veult parler d’ung marc d’argent, il veult entendre ung marc pesant quattre vingtz et dix marcs et demy, de .viii. onces pour chascun marc, tout ainsi comme la ou il parle de ung stade il est a entendre cinq cens pas de chemin selon
Ptholemee au derrenier livre de la Mapemonde, nonobstant que
Plutarcus, au livre de la Vie des meurs et grandeur de
Herculés33, dit que ung stade contient six cens pas en toute
Grece, mais c’estoient cinq cens pas de
Herculés.
Onescrite dit que avecques ceste somme de .lx. mille marcs, Alexandre apporta deux cens marcs d’or qu’il emprunta des aydes de son royaulme. Ce seroient .xii. cens mille rides, mais Alexandre, parlant au .ix. livre de
Quinte Curse, dit que a son commencement que
il n’avoit cinq cens marcs d’or empruntez et que tout le
royal demaine ne passoit point .lx. marcs d’or
34.
Alexandre vint au temple de
Delphos pour demander conseil aux dieux s’il auroit victoire en son voyage. Lors estoient jours interditz esquelz ne estoit pas licite de parler a nul oracle. Quant Alexandre eut prié a la divineresse qui se excusoit et deffendoit par la loy de l’interdit, il admena dedans le temple malgré elle, laquelle estoit vaincue par l’opportunité
35 d’Alexandre, dist a ce propos : « O filz, tu es invincible. » Quant Alexandre ouyt ce, il dist que il n’avoit affaire d’autre devinace et que il avoit trouvé la prophecie que il desiroit. Autres dient que il luy demanda plusieurs choses dont il eut vraye responce. Ce consonne assés a ce que dit
Quinte Curse cy aprés. Ceste devineresse luy commanda que le lendemain fist sacrifier le premier qu’il trouveroit venant au devant de luy hors de la ville. Et comme
Valere racompte, il rencontra hors de la ville l’endemain ung homme qui menoit et chassoit ung asne devant luy. Alexandre
commanda mettre l’homme a mort. L’homme reclama la clemence de Alexandre et demandoit pourquoy il le fait luy qui est innocent sans nulle cause. Le roy, pour soy excuser, dist : « Les devins me ont commandé que je tue le premier qui aujourd’uy viendroit devers moy. » L’homme, tout effroyé, dist : « O roy, s’il est ainsi, je ne suis pas le premier, c’est mon asne qui va devant et je voys derriere. » Alexandre se delecta a ouyr le bonhomme et commanda tuer l’asne.
Aucuns escrivent que
Aristote fut pryé de aller avecques Alexandre en
Perse. Mais cherchant occasion honneste affin que il n’y allast point, luy donna
Calistenés, ung de ses disciples, grant orateur, saige en conseil et moult prudent. Icelluy
Calistenés ayant interrogué son maistre en quelle maniere il se devoit conduyre envers Alexandre, il luy respondit que il se devoit taire ou parler choses qui plaisent aux aureilles des regnans affin que plaisance te face plus acceptable et le taire plus seur. A la verité ce fut conseil de maistre prudent et salutaire s’il eust esté observé sainement du disciple. Mais tandis qu’il reprenoit Alexandre pource que il souffroit que les Macedons luy faisoient telle reverence comme les Persans de l’aourer du visaige enclin jusques a terre, et que icelluy
Calistenés parviendroit
36 a le retraire contre son gré aux meurs de
Macedoine, il fut condamné a mourir. Si fist tardive repentance du conseil qu’il desprisa, comme sera exposé cy aprés.
Cenocrastés le philosophe se garda d’Alexandre plus saigement que Calistenés, duquel Cenocrastés, comme racompte Valere, une femme commune, la plus belle de son temps, avoit gaigé a ung compaignon qu’elle luy feroit perdre sa chasteté et continence au cas qu’il la souffrist coucher une nuyt avecques luy. Si y coucha et perdit, par quoy aprés celle fille disoit d’ung homme a avoir gaigé non pas une statue. Or, quant Aristote se excusoit d’aller en Perse, Alexandre eust voulentiers emmené ce Cenocrastés, mais quoy par advanture peust Alexandre mouvoir Cenocrastés par richesses mieulx que n’a fait la fille le compaignon par sa beaulté ? Certes, nenny, car on eust pensé que ce philosophe fust une statue en vain temptee de Alexandre. Alexandre luy envoya messagiers pour luy presenter une somme d’or, laquelle Cenocrastés emmena en achademye, et les receupt voulentiers ainsi qu’il souloit, c’est assavoir en ung sobre soupper. Lendemain les messagiers luy demanderent a qui il vouloit qu’ilz nombrassent la somme d’or. « Quoy, dist Cenocrastés, ne entendez vous point par le soupper de hier que je n’ay besoing d’icelluy ? » Ainsi le roy voulut achapter l’amistié du philozophe, et le philozophe ne la voulut oncques vendre.
Aprés toutes choses, Alexandre passa le
bras Saint George et transporta son ost par mer en
Asye. Illec en regardant fut exprins de une ardeur merveilleuse, par quoy il establist douze autelz en veu aux dieux des batailles, distribuant a ses amys tout le patrimoyne qu’il avoit en
Macedoine et en
Europe, en disant : «
Asye me suffist. » En laquelle comme en terre ennemye darda une lance, soy faisant appeller seigneur de tout le pays et roy de tout le monde, et saillit hors de la nef en
dançant, mais ainsi comme il saultoit il cheut tout plat, si embrassa la terre en disant : «
Asye, je te tiens. » Puis se releva affin de tollir aux siens la suspeccion de ce prodigue, disant que ainsi devoit tout embrasser comme il avoit fait celle terre. Atant feist sacrifice demandant victoire, et priant que les pays ne le receussent point
envys pour leur roy, ains le vueillent avoir pour
vengeur de
Grece, tant de fois guerroyee des Persans. Mais la presumpcion de tout l’host ne estoit ja moindre que celle du roy, car chascun oublyoit femmes et enfans et toutes autres choses,
reputoit comme ses proyes l’or de
Perse et les richesses de tout Orient, ne ja ne leur souvenoit de la bataille ne des perilz, mais seullement des richesses, car ilz avoient mis si grant espoir en Alexandre que en sa presence mesmes, estans desarmez, ne doubtoient les autres ne quelque peril, car ilz estoient si fermes en toutes ses entreprinses, si loyaulx et si vrays chevaliers a son service promps et legiers a luy complaire que ilz ne leur challoit ou de mourir ou de vivre, comme l’exercite de son corps entre les gens d’armes et chevaliers, ses robbes et vestemens, pou differens du peuple, vigueur et chevalerie et hardyesse avoient tousjours avecques luy. Par lesquelles choses tellement avoit gaigné l’amour de chascun tant qu’il estoit doubté et craint de ceulx qui jamais ne le virent. Doncques ung cappitaine, par l’orgueil de luy et le rapport de ses sergens, se combatit contre ses adversaires et ennemys en confiance et espoir de victoire, deffendant a ses legatz la destruction des champs et de tout le pays, disant que ilz devoient espargner leurs choses, non pas les perdre ne gaster ce que venoient a posseder. Aprés ce, Alexandre passa par
Troye et par
Yllion, si sacrifia aux sepultures
de ceulx qui moururent au siege de
Troye. Puis, voyant la sepulture de
Achillés, dist : « O heureux jouvencel qui as eu en ta vie si feal amy comme
Patroclus et aprés ta mort si hault publieur de tes louenges comme
Omere37. » Ainsi que Alexandre regardoit la cité, ung homme luy demanda s’il vouloit veoir la harpe de
Paris. Alexandre luy respondit qu’il n’en tenoit compte, mais qu’il cherchoit le
lud de
Achillés, auquel il vouloit chanter les gestes des vaillans hommes, leurs beaulx faitz et œuvres glorieuses.
Mais a tant laisserons a parler d’Alexandre et commencerons a racompter des roys de Perse, en la seigneurie desquelz estoit la pluspart de tout Orient. Si dirons en quelle maniere le roy Daire estoit venu au royaulme, non pas le premier roy Daire qui mena guerre en Grece, mais celluy qui soubstint la guerre contre le grant Alexandre. Le royaulme des Assiriens, qui avoit duré mille trois cens ans, fina en Sardanapalus et par Abacus fut transporté des Assiriens a ceulx de Mede. Aprés, par ordre de succession par plusieurs roys, le royaulme descendit a Astragés qui n’eut que une fille, qui fut mere du roy Cyrus, lequel transporta le royaulme de ceulx de Mede aux Persans. A cestuy Cyrus succeda Cambizés, aprés lequel regna le premier roy Daire. Cestuy cy mena guerre en Grece a tout six cens mille combatans. Si fut desconfit de Mulcyadés, duc d’Athenes, a tout dix mille combatans. Aprés le roy Daire, regna le roy Xersés, son filz, qui mena guerre contre Grece a tout dix cens mille combatans et fut desconfit de Leonidés, roy des Lacedemons, a tout quatre mille combatans es destrois des Termosilles. A cestuy cy succederent Artaxersés et Daire, l’ung aprés l’autre, aprés lesquelz regna Arthaxersés, roy des Persans, lequel eut cent et quinze enfans de plusieurs femmes concubines, mais il n’en eut que trois procreés en mariage, c’est assavoir Daire, Ciliarge et Ochus. De ces trois enfans le pere mist le royaulme en la main de l’ainsné que l’en nommoit Daire, luy estant encores en vie, qui est chose contre l’usance des Persans, car leur roy jamais ne se change que par mort du predecesseur. Ceste chose faisoit Artaxersés pensant que il ne diminuoit en luy ce qu’il accroissoit en son enfant et mesmement que il prendoit plus de joye de la procreacion de son filz quant il verroit en luy les signes de royalle majesté. Mais aprés tous ces nouveaulx exemples de l’amour paternelle, icelluy Daire par envie machina de tuer et occire son pere, lequel luy estoit si humain. Vrayement il eust esté bien maulvaix et detestable au cas que tout seul eust machiné la mort de son pere. Mais encores l’estoit il plus pource que, en prenant cinquante de ses freres en la compaignie d’ung cryme tant enorme et tant horrible, tous ceulx fist meurtriez avecques luy, et sans faulte ce fut bien nouvel monstre que ung si grant peuple non seulement se trouva compaignie de si tres grant meurtre, mais que ce fait se peut celer aucunement, mesmes que de cinquante filz, nul ne fut trouvé qui la majesté paternelle ou la reverence de vieilesse ou la pytié de leur pere revocast de si extreme cruaulté. Par advanture estoit nom de pere si vil devers si grant nombre d’enfans que la ou il devoit estre seur de ses ennemys par l’ayde d’iceulx, touteffois il fut plus seur de ses adversaires que de ses enfans. La cause du meurtre estoit plus enorme que le mesmes malefice, car aprés que Circus fut tué en la bataille de son frere Atharxersés, son frere print en mariage Estasie, amye dudit Cyrcus, son frere. Icelle demandoit Daire que son pere luy laissast ou cedast aussi bien que le royaulme, lequel n’estoit pas adverty. Premierement luy dist qu’il estoit content, mais aprés il se reprint et se repentit, et affin pour son honneur garder de ce qu’il avoit accordé follement, il la fist rendre nonnain ou prestresse du Soleil, par quoy luy estoit enjoint et commandé de garder perpetuelle chasteté. De quoy le jouvencel, fort courroucé, se mist et bouta en haine et injure de son pere, et aprés, faisant conspiracion avecques ses freres, tandis que par ses secretz aguettemens il voulut actenter contre son pere, il fut surprins avecques ses complices, et sans autre dilacion paya la deue vengeance aux dieux vengeurs de la paternelle majesté. Si fist tuer femmes et enfans de tous les dessusditz, affin que il ne restast quelque race d’entre eulx du cryme tant horrible. Aprés ces choses, Atharxersés trespassa de maladie, survenue de douleur, vrayement plus eureux roy que pere. L’oirrie du roy escheut a Ochus, lequel doubtant pareille conspiracion remplit toute la court du sang de ses parens et autres princes. Si ne peut oncques nullement ne par aucune maniere estre refraint ne fleschy a aucune misericorde, ni du sang, ne du sexe, ne de l’aage des petis enfans, c’est assavoir affin que on ne le tint plus innocent que ses freres, les dessusditz meurtriers. Et ainsi comme il eust par telles manieres comme dit est purifié son royaulme et qu’il estoit paisible, il fist guerre aux Armins. En celle guerre comme ung chevalier nommé Condomanus de commun accord fut fait et esleu a estre capitaine contre l’envahye des adversaires, la fortune fut telle qu’il rua jus leurs ennemys et restitua aux siens la victoire et leur gloire presque perdue. Par ses beaulx faitz il fut fait gouverneur d’Armenye. En aprés certain temps fut la mort du roy Ochus, puis ledit Condomanus, aprés son trespas, fut mys par sa vertu a estre constitué roy par la voulenté du peuple. Si fut appellé et honnoré du nom de Daire que n’en ne faillist a la royalle majesté. Ce roy Daire cy par grant vertu mena la guerre contre le grant Alexandre, longtemps fortune variant leurs advantures.
Mais retournant a nostre histoire, aprés que le roy Daire fut adverty et sceut la venue de Alexandre, il envoya ambassadeurs par devers luy. Iceulx luy apporterent unes verges et ung estoef et une somme d’or monnoyé, avecques les lectres qui s’ensuyvent : « Daire, roy des roys et cousin des dieux, a Alexandre son serf. Saiche que de par nostre majesté te sont envoyez unes verges, ung estoef et une somme d’or, avecques certains commandemens que briefvement tu t’en retournes en Macedoine devers les tiens parens, noz subgectz, dont tu es party, auquel lieu tu pourras estre chastié et discipliné de ces verges que t’envoyons, demourant soubz la correction de ta mere Olimpie. Ensemble nous te commandons tres expressement que tu entendes au jeu de l’estoef qui t’est loysible et appartenant au tien aage, et non pas aux armes ne aux larrecins, par lesquelz tres follement ne sçavons par quel conseil as commencé a molester nostre empire qui a demouré entiere et paisible jusques a maintenant, car posé que tout l’autre genrre humain eust conspiré contre les Persans, certes il ne les pourroit de riens espoventer. Que se par advanture en retournant en ton pays rien defailloit a toy ou a tes gens, voire pource que desja vous en deffault tu pourras subvenir a indigence et souffrette par l’or que te envoyons, car il y a si grant habondance d’or et d’argent devers nous que on ne pourroit extimer, par quoy nous voulons que tu obeïsses a noz commandemens sans arrest. Autrement saichez que sergens viendront de par nous devers toy qui te ameneront a nostre haulte tour emprisonné et te battront injurieusement de ces verges. »
Aprés que Alexandre eut leu lettres, il respondit publicquement aux legatz ce qui s’ensuyt : « Ces parolles apportent plus tesmoing de vanité et de arrogance que de confiance et de vertus, car ainsi comme la condicion des nobles chiens si est d’espargnier les foibles, ainsi la coustume des hommes couars est de fouller de telles menasses. » Disant telz motz, il distribua aux legatz tout l’or que Daire luy avoit envoyé, si les renvoya par devers leur roy avecques ses lettres : « De par le roy Alexandre salut a Daire, roy des roys et cousin des dieux. Je te prie, roy, que me vueilles declairer a quelle fin me as escript et que tu as habandonné si grant nombre d’or et d’argent. Est ce pour semondre ou animer les Macedons a toy combatre, qui sont hommes indigens et souffretteux et invincibles, ausquelz tu congnois que l’en ne peut resister, ou par advanture faire iceulx plus couvoiteux a ravir tant de richesses ? Les verges et l’estoef et les deniers d’or m’as envoyé par divin oracle et commandement combien que tu ne l’entens point en signifiance de ce qui est a advenir de nous deux, car il m’estoit besoing d’avoir unes verges pour chastier toy et les tiens comme mes subgectz. L’estoef, qui est par sa rondeur semblable au ciel, me promet la seigneurie de tout le monde, et l’or monnoyé que tu m’envoyes demonstre que toutes tes richesses enfermees de pieça en tes tresors viendront briefvement a mon droit et siegneurie. Si ne soyes ja esbahy et ne te semble ceste chose dure si ung si grant roy comme tu es, te vantes estre si comblé et si puissant doye servir soubz Alexandre en tant qu’il se met a larcin, comme tu dis. »
Le roy
Daire, veues les lectres d’Alexandre, esmeu par grant indignacion, envoya contre luy son connestable,
Menon, qui en vertu de dignité estoit principal de tous ceulx de son royaulme. Icelluy
Menon avoit assemblé ost habondant pour combatre Alexandre, lequel vint contre luy es champs d’
Adrestes sur la riviere de
Granicque38. Le nombre de son ost estoit quatre cens mille combatans a pié et cent mille a cheval. Si grant multitude d’aversaires mouvoit Alexandre au regard de son petit ost, mais considerant leur vertu et reputant comme grans choses il avoit meneee a chief a tout ce petit nombre, il se attendoit a la victoire. Comme doncques paour donne lieu a esperance et comme il luy sembloit perilleux de differer la bataille affin que desespoir ne survint aux siens, il
circuyoit ses batailles et les faisoit
consister tous ensemble affin d’eulx acoustumer a soubstenir des yeulx le grant nombre de leurs adversaires, enflammant leurs couraiges par diverses admonicions et remonstrances en disant : « Macedons, hommes de invincibles vertus, ennoblis par tant de victoires
oultrees par l’espee, par tant de citez vaincues, par tant de gens subjuguez, vous mesmes estes cy venus et avez prins armes contre les Persans, non plus par ma conduycte que par voz propres voulentez. Vous avez cy devant voz yeulx ce que avez souhaicté tant de foys. Vous desirez bataille : bataille vous est toute preste, non pas encontre ceulx de
Trace mais contre les Persans, non sans fruict et perilleuse, mais fructueuse et seure. Je voy desja toute leur bataille flotant de crainte et de paour. A paine auront affaire des glayves, par quoy ne devez estre esbahis du grant nombre, car il y a plus de proye que de peril et en plus grande multitude se treuve plus grant butin. O Macedons, couraige, car nous avons affaire contre gens effroyez et non usitez d’armes. Et quant ce viendra a la premiere meslee, nous laisserons la place, par quoy la gloire de nostre costé en sera moindre. Touteffois ce ne sera point sans fruict, car ceste victoire nous ouvrera tout Orient et nous mettra en nostre subgection toutes les
Yndes et les
Bactres, et si nous donnera infinies richesses. Regardez leur bataille resplendissant par or et par pourpre, portant proyes, non pas armeures. Allez doncques hardiment et ne craingnez point, mais par l’espee ravissez et prenez pour vous leurs richesses. »
Chascun receut moult voulentiers ses parolles tant que a grant paine se povoient contenir, car les vaillans legierement se accorderent et consentirent, et cueur qui rien ne desire de rien ne se haste. Alexandre commanda et ordonna que chascun fust tantost armé, puis rengea en moult belles ordonnances ses batailles. La senestre conduisoit ung chevalier moult preux et vaillans aux armes, nommé Parmenon. La dextre conduisoit et menoit Nichanor, son filz. Icelle deffendoient les Macedons et les Thessalles, mais la senestre les gens de la Moree. En la bataille de front presidoient Ptholomee, Aminités, Cenos, Prodique, Meleager, Philotés, Aridee, Clite, Leonat et Anthigonus, conducteur de son armee. Devant le front de la bataille estoit l’assemblee des archiers et des gens de trait. Les Traces et ceulx de Crethe, tous gens de legiere armeure illecques attendoient le signe de la bataille rengee sur la riviere du fleuve undoyant et estans ordonnez comme dit est, car la riviere entrecourant departoit les deux hostz. Parmenon regardoit l’effort du fleuve undoyant et tres parfondz, pareillement l’aspreté de l’autre rive, estoit de oppinion que il ne devoit point passer oultre, mais illecques attendre les Persans. Alexandre dist que les bras Saint George que ilz avoient passé leur feroient honte se ilz doubtoient la riviere du Granicque. Aucuns disoient que il falloit garder la religion du moys de juing, car il ne estoit point de coustume aux roys de Macedoine de bailler et livrer bataille en ce moys, laquelle chose amenda Alexandre legierement, commandant icelluy moys estre appellé le second moys de may.
Or ne me fut pas oyseuse la diligence de Menon, capitaine des Persans, a ordonner ses batailles, car luy estant a cheval chevauchoit entour ses gens d’armes, enhortant ung chascun a la souvenance de l’ancienne gloire des Persans, du roy Daire et de leur felicité perpetuelle. Avecques ce leur disoit que le roy Daire les avoit esleuz tous devant autres et commis a leurs vertus la premiere bataille et la premiere deffension de son royaulme, et ja les deux ostz estoient en point pour combatre quant les Macedons, ayant ouy le signe des trompettes en maniere de lyons, descendirent sur leurs adversaires sans considerer dangier ne peril. Mais comme les gens de cheval venissent contre le trait de leurs adversaires et contre les rives entrerompues, il sembloit qu’il livrast sa bataille plus par fureur que par raison ne par conseil. Si furent receuz des Persans a lances et escuz. Illec se fist grant occision et fut respandu moult de sang. Grant piece se combatirent aigrement sans surmonter l’ung l’autre. Les Persans regardoient a leurs anciennes vaillances, les Macedons aux presentes. Les ungs se combatoient pour dominer les autres, mais la couvoytise de dominer l’emporta a la parfin, et ja sembloit que les Persans perdissent place quant Menon, excellent sire, les renforça de couraige et de vertus, et chargea sur les Macedons et conforta les siens, les ungs rua jus et les autres mist en fuyte. Mais quant Alexandre le apperceut, brocha son cheval des esperons avec la plus legiere compaignie de ses gens, effundra vaillamment sur ses adversaires, commanda au capitaine nommé Predicque qu’il feist marcher la bataille des gens de pié parmy l’assemblee. Alors se fist occision non pareille. Grant clameur fut eslevee des deux parties, et les Macedons, estans animez par moult belle, grande et joyeuse exhortacion de leur roy, rompirent les batailles parmy leurs adversaires. Lors Alexandre, regardant Menon en place rompue, coucha sa lance et ferit son cheval des esperons et le poursuivit tant que le destrier povoit courir. Mais quant Menon l’apperceut, il se dreca contre luy de telle roideur et Alexandre pareillement, tellement que ledict Menon assena Alexandre soubz la trenche de l’escu par telle facon que la lance rompit en plusieurs pieces. Mais Alexandre le print en la visiere si le porta jus du cheval, et ja estoit au dessus pour le tuer de son glayve quant les Persans se opposerent de toute leur force a le deffendre. Illec se fist si grant occision que a paine se comprent par escripture. Alexandre, par cas d’avanture, avoit perdu sa salade en la chaleur de la bataille, mais ja pourtant ne faisoit moins comme oublié de sa vie. Si l’apperceut ung Persant nommé Phosacés, lequel levant sa hache alloit a l’encontre pour luy descharger sur le col. Certes, se il eust assené il eust delivré a ung tout seul coup tous les Persois et Indiens de grans desolacions, mais Clite mist son escu au devant qui le garda et, preservant la vie du roy en preferant la sienne, retourna contre ledit Persois et se combatit tant contre luy que il luy trencha la main dextre.
Tandis Perdicque fist marcher les gens a pié parmy les batailles ainsi qui luy avoit esté commandé. Adoncques se firent occisions sans nombre, par quoy les Persans qui ja ne povoient souffrir l’effort des Macedons se mirent en desarroy et habandonnerent leurs conducteurs et tournerent le doz a leurs ennemys, excepté les Gregoys retenuz a souldee, lesquelz se ralierent en ung hault tertre, crians mercy a Alexandre, mais il effrondra sur eulx plus par fureur que par conseil. Si fut son cheval tué et percé par les flans d’une lance tellement que a paine le peut ramener hors de la presse. Illecques furent plusieurs occis et navrez, mais tous les Gregoys y demourerent, car le combatre estoit contre gens desesperez et cruelz en guerre. Menon, excellent sur tous les autres non seullement en beaulté de corps ne de ses armeures, mais en grandeur de couraige, de force, en quoy ne peut estre surmonté. Tout seul se opposa contre tant de milliers de hommes, et estant deliberé de combatre tous venans, chascun s’efforca de le combatre a toute puissance, les ungs de la lance, les autres de l’espee dont il fut playé en plusieurs lieux, devant et derriere, et aussi il navra plusieurs de ses adversaires. Et aprés qu’il se apperceut estre des siens habandonné, affin que il ne fust point apperceu vaillant moins que Alexandre en felicité, non pas en vertu, il fist de ses ennemis si grant occision que aucunesfois faisoit fuyr de grans assemblees, mais comme les adversaires sourvindrent a luy a grant nombre et qu’il ne peut plus soubstenir les grans coups, il se mist a genoulx, si couvroit son corps de son escu, et se deffendoit vaillamment de son glaive, appellant encores ses adversaires s’aucun s’oseroit combatre a luy corps a corps jusques a tant que la lance mortelle fust fichee en son estomach, et depuis qu’elle fut arrachee moult de sang en saillit, puis il se leva tout debout, mais incontinent il se enclina sur son escu et cheut mort tout armé. Alexandre prioit aux Macedons qu’ilz ne laissassent point aller impuniz leurs adversaires. Le roy mesmes oppressoit le doz des fuyans et frappoit dessus, et illecques ne sembloit pas bataille mais occision. Le roy, meu en pitié de misericorde, commanda a ses gens de eulx abstenir de plus faire occision ou effusion de sang. Grant fut le nombre des Persans occis en ceste journee. Plutarcus dit que vingt mille a pié et deux mille a cheval de l’ost des Persans y furent mors et occis, les autres prins ou mys en fuyte. De l’ost d’Alexandre y mourut neuf mille hommes a pié et six vingtz a cheval, lesquelz le roy fist mettre diligentement en terre et dresser sur leurs sepulchres hommes a cheval entaillez, qui est grant honneur au Macedons. Si donna aux parens desdictz mors maintes franchises et plusieurs dons pour l’amour d’eulx.
Aprés ceste victoire, il despartit la despouille conquise des Gregoys en plusieurs temples en Athenes et troys cens escuz que il envoya aux temples de Grece. Il y eut de grans seigneurs mors et prins prisonniers en la bataille. Si faisoit escrire au dessoubz des tumbes : « Alexandre, filz du roy Philippe, sans les Lacedemons et sans les Gregoys, print ces dons des Barbarins habitans en Asye. » De drap d’or, de soye, de martres et autres choses semblables envoya la plus grant part a sa mere. Ceste victoire donna grant ayde aux choses d’Alexandre, car il print garde, garnison et deffence de toute l’empire maritime des Persans, et plusieurs autres villes et citez se rendirent a luy. Seulement les villes et citez de Licarnasse et de Milete se tenoient a l’encontre de luy, lesquelles citez il print par vive force. Aprés que le noble et vaillant Alexandre eut subjugué toutes les regions circonvoisines, il estoit en doubte de ce que faire devoit, car aucunesfois il disiroit tres fort d’avoir affaire contre le roy Daire affin de tout mettre a l’adventure de la bataille, aucunesfois estoit content de estre embesongné a conquester le pays prés de la mer affin qu’il fust premier excercité et assuré en icelluy pays pour mieulx aprés assaillir le roy Daire. Prés de la ville de Xante court une fontaine, de laquelle par la source et croissance de l’eaue partirent deux tables d’arin, ou il y avoit tres anciennes lettres escriptes monstrant que le royaulme des Persans seroit destruyt par les Gregoys. Alexandre, eslevé en orgueil par ses choses, il se hasta de subjuger Cecille. La course de la province de Damphilee donna a plusieurs hystoriens matiere de admiracion, car Josephus et autres dient que Alexandre, suyvant le roy Daire et ayant a passer la mer de Damphilee, icelle mer se ouvrit par la voulenté de Dieu qui vouloit faire le royaulme des Persans par icelluy Alexandre. Ainsi le dit Plutarcus, et Menander le tesmoigne en une comedie, mais Alexandre es espitres que il escript a sa mere et a Antipater ne escript riens de telz miracles, ains afferme qu’il tint son chemin par l’eschelle acoustumee et qu’il passa par l’entree de Fasilide, en laquelle cité demoura plusieurs jours et fist grant honneur a la sepulture de Theodecte, le philosophe natif de celle cité, pource qui le recongnoissoit encores de l’escolle de Aristote. Aprés il print la province des Pisides et subjuga le pays de Frige. D’illec il envoya Eleander en Grece et a l’isle de la Moree pour luy envoyer aux gens d’armes. Si luy fist livrer grant sommes d’or. Durant lequel temps Alexandre des Lincestes, gendre de Antipater, lieutenant de Macedoine, fut accusé par deux tesmoings desposant contre luy. Si fut convaincu d’avoir voulu actempter contre le roy par voyes secrettes. Alexandre le tint en prison, doubtant se mourir le faisoit que a cause de sa mort aucune mutacion ne sourdist en Macedoine.
Icy mettrons fin a ce premier livre, lequel est assemblé de
Justin,
Plutarcque,
Valere, et plusieurs autres, car jusques au commencement de ce que trouvons en
Quinte Curse rien ne se trouve appartenant a ceste hystoire, ne en Justin, ne en autre acteur auctenticque entre les Latins, sinon que aprés la mort de
Menon, Alexandre
eut plusieurs batailles contre les cappitaines du roy
Daire, esquelles il vaincquit non par armes mais par la crainte de son nom, et mesmes tesmoigne
Josephus au douziesme livre des
Antiquitez. Si n’avons point voulu
employer39 ces batailles pource que nous trouvons point les temps, les lieux, ne les personnes quant, comment ne contre qui ilz furent faictes, et sur ce point commence l’hystoire de notre
Quinte Curse. Temps est donc de laisser
Justin et les autres, et grace leur rendre touchant ce qu’ilz nous presterent de leurs hystoires. Si commencerons la translacion du second livre
pertitulé a
Quinte Curse, car son premier livre, partie du second fait, fin du quart, commencement du cinquiesme et autres lieux ne s’en treuve quelque part comme nous avons dit au prologue du premier, et doncques se les ans et vieillesse nous ont ravy et
tollu de ceste hystoire livres et fueilletz tous entiers, ne est il pas a penser que nonchallance adjouxtee aux ans et a vieillesse nous a
tollu plusieurs lignes, plusieurs motz, et plusieurs sentences ? Doncques se aucune pitié ou compassion de mes labeurs povoit entrer es cueurs des escoutans, certes il me semble que par ce on pourroit trouver l’entree et ouverture. Par quoy se aucune sentence y trouvoient autrement qu’il ne doit ou qu’ilz ne veulent, ilz me pourroient licitement pardonner ou icelle faulte totalement imputer a ma rudesse, combien que mon ignorance suffit tres bien a ceste charge. Mais assez me doit suffire l’incommodité et dommaige commun a moy et aux autres translateurs, attendu que toute nostre œuvre est subjecte a ce peril que les faultes faictes par les acteurs et escrivains avant et aprés que les livres se translatassent a la parfin toutes nous sont et seront imputez, et ce sera le louyer mondain de ma paine, de laquelle ne me reste autre vray fruyt si que icelle prouffitera a plusieurs ou, si autruy ne prouffite, que prouffitera a moy mesmes comme de me avoir employé en œuvre honneste, ou se a moy ou autruy ne prouffite, au moins, mon tres redoubté seigneur, vous congnoistrez que plus voulentiers vous serviroye en ce que je puis quant tant voulentiers vous sers oultre mon pouvoir.